mardi 6 juin 2006

La publicité, déchet culturel ?

Auteur : Gilles Guénette

Les sondages le montrent, tout le monde aime la publicité. Tout le monde la trouve belle, meilleure qu'elle ne l'a jamais été et parfois même intelligente. Tout le monde sauf peut-être quelques intellectuels de la communication pour qui la pub est tantôt un outil d'asservissement de la population, tantôt un vilain virus qui s'immisce dans l'organisme et rend tout discernement impossible.

Claude Cossette est l'un de ces intellos à la mode qui voient du sens (et des conspirations) là où il n'y en a pas. Dans la mouvance des critiques anti-pub à la Kalle Lasn d'Adbuster ou Naomi Klein et son No Logo, l'universitaire a publié un ouvrage intitulé La publicité, déchet culturel aux Éditions de l'IQRC. Cossette se défend d'être contre la publicité, il se dit plutôt contre ses excès. Nuance.

J'achète, tu achètes, il achète

Le nom vous dit peut-être quelque chose. Claude Cossette a fondé la plus grande boîte de pub au Canada: l'agence Cossette – devenue Cossette Communication marketing, puis le Groupe Cossette. Il a oeuvré pendant près de 20 ans dans le milieu publicitaire avant de tirer sa révérence pour se concentrer sur l'enseignement de la publicité au département de communication de l'Université Laval.

Depuis quelques années, Cossette dénonce activement l'envahissement de la publicité dans les moindres sphères de nos vies, notamment dans les toilettes et les écoles publiques (voir BROUILLAGE PUBLICITAIRE, le QL, no 32). Il en est venu à en voir jusque dans sa soupe – endroit sacré, s'il en est un. Après Oliviero Toscani (La pub est une charogne qui nous sourit) et Frédéric Beigbeder (99 francs), au tour de Cossette de dénoncer la société de consommation et ses principaux promoteurs, les publicitaires.

La publicité, c'est le masque charmeur de l'économie de marché. Masque charmeur parce que la publicité affiche ses plus beaux atours pour cacher sa nature véritable: persuader que le bonheur consiste à consommer jusqu'à épuisement... de la Terre. La publicité ne dit jamais directement: « Achetez ce produit, ainsi nos actionnaires feront du profit sur votre dos. » Non, la publicité fait miroiter le bonheur; elle laisse entendre qu'on ne pourra l'atteindre qu'en achetant.

Plus besoin de vous procurer le livre, vous avez ici le gros de sa pensée! – à moins que vous n'adhériez, vous aussi, à ce salmigondis et que vous vouliez faire durer le plaisir... Pour l'essentiel, les gens sont impuissants face au rouleau-compresseur publicitaire et c'est parce qu'ils sont un peu naïfs, voire cons, que les actionnaires des multinationales au volant de cet engin « de destruction » s'enrichissent aussi effrontément.

La publicité, déchet culturel est bourré de petits commentaires qui montrent à quel point Cossette ne tient pas le milieu haut dans son estime: « L'aboutissement ultime rêvé par tous les grands annonceurs est de transformer les consommateurs en "chiens de Pavlov". » « Les jeunes y sont captifs dans les écoles : ils ne peuvent pas tourner la page ou zapper – une valeur supplémentaire pour les annonceurs assoiffés de chair fraîche! » « Mais en dépit de ce que souhaitent les grands marketers, sur le plan culturel, tout n'est pas encore platement uniforme. » Ainsi de suite.

Si Cossette n'affectionne pas particulièrement les publicitaires, il aime encore moins l'économie de marché. Sa position, on s'en doute, est celle en vogue dans les milieux intellos francophones; c'est-à-dire, la position officielle de tous ces « communautaires » qui n'en ont que pour les « victimes de la société de consommation » (dont ils font partie) et l'interventionnisme étatique sans bornes:

Les marchands sont tous adeptes du libre marché, de la mondialisation, de la déréglementation... Peut-on croire que les gens d'argent, « capitalistes » par nature, ont pour objectif de faire avancer le progrès? Peut-on vraiment gober l'idée que des marchés plus libres vont permettre de créer une situation avantageuse pour le citoyen consommateur? Laissez libres les compagnies aériennes d'offrir – selon la philosophie du marketing – le service « que le consommateur désire », laissez-les fixer le prix du marché, et vous verrez petit à petit les avions manquer d'entretien jusqu'à ce qu'ils s'écrasent.

Bien sûr, c'est dans leur intérêt de laisser s'écraser leurs appareils! Une chance que l'État est là pour les forcer à être « meilleures », sans lui nous serions tous en danger de mort! Une chance que l'État est là pour créer des « situations avantageuses » pour le consommateur – comme le meilleur système de santé au monde (!), le meilleur réseau routier en Amérique du Nord (!!), les meilleures écoles de ce côté-ci de l'Atlantique (!!!). Cossette ne manque jamais une occasion de tirer sur le marché même si au fond, il n'y comprend pas grand-chose.

Gimme Logos

Nostalgique du Québec d'hier, Cossette se remémore les épiceries de quartier qui offraient jadis quantité de marchandises en vrac et sans marque. « Il reste encore des reliquats de cette façon de faire dans les supermarchés: farine, sucre et sel sont conditionnés de façon sommaire parce que les marketers n'ont pas encore réussi à se distinguer les uns des autres et, pour ces produits-là, à faire payer aux consommateurs la valeur symbolique d'une marque. »
« Comme la plupart des anti-mondialisation et des anti-pub, Cossette aime s'en prendre aux McDonald's, Coke et Sony de ce monde, mais jamais à nos Bell, Réno-Dépôt ou Valentine. Les grandes compagnies qui représentent tout ce que le capitalisme a de plus vil à nous "imposer" sont plus souvent qu'à leur tour américaines. »
Quoi qu'en dise Cossette, si les grandes surfaces et les supermarchés offrent aujourd'hui des aliments en vrac, c'est parce qu'il y a là une demande, pas parce qu'ils manquent d'imagination. Si pour X raisons, les consommateurs y étaient réfractaires, les marchands trouveraient d'autres façons de les vendre. Nous ne sommes donc pas « en sursis » de nous faire vendre ces catégories de produits à gros prix, il n'y a tout simplement pas de marché pour de tels produits « griffés ».

Certaines catégories de produits (farine, sucre et sel) sont vendues sans marque et en vrac pour des raisons économiques. Il n'y a pas de « féroce compétition » dans le commerce des clous de finition, par exemple, parce que la qualité du produit est toujours sensiblement la même, c'est-à-dire bonne, et qu'elle est vérifiable à l'oeil nu. C'est lorsque les produits sont plus « complexes », ou que plusieurs compagnies les offrent, que le consommateur recherche les marques pour guider son choix.

Comment expliquer que l'on préfère payer davantage pour un appareil de marque Sony que moins pour un autre d'une marque moins connue? Selon Cossette, « Peut-être parce que c'est un meilleur produit, mais surtout parce qu'il faut payer pour obtenir la marque la plus prestigieuse au monde. [...] La mission de la publicité, c'est de créer un engouement pour les images de marque de telle sorte qu'elles deviennent les nouvelles icônes de cette religion consommatoire. »

Les marques de commerce, on le voit, sont l'autre grande obsession de Claude Cossette. Comme la plupart des anti-mondialisation et des anti-pub, il aime s'en prendre aux McDonald's, Coke et Sony de ce monde, mais jamais à nos Bell, Réno-Dépôt ou Valentine. Les grandes compagnies qui représentent tout ce que le capitalisme a de plus vil à nous « imposer » sont plus souvent qu'à leur tour américaines. Mais bon... ça doit être un adon.

Pourtant, une centaine de pages plus tôt, Cossette écrit: « celui qui se procure un appareil Sony s'attend toujours à retrouver la qualité Sony; et il est prêt à débourser davantage pour obtenir cette sécurité. Aujourd'hui, les leaders du marché sont ceux qui ont réussi à obtenir la qualité totale... avant le mot. Heinz aurait-il la renommée que l'on sait si son ketchup n'avait pas la qualité qui est sienne? Frigidaire serait-il synonyme de réfrigérateur si General Motors n'avait pas réussi à mettre au point le meilleur réfrigérateur possible pour le prix le plus largement acceptable? »

Comme il semble le suggérer – dans ce moment de lucidité! –, les marques de commerce sont en effet des gages de qualité qui permettent au consommateur de consommer à tête reposée, sans avoir à se demander si tel ou tel produit est de bonne qualité. En optant pour un magnétoscope Sony par exemple, Julie sait qu'elle achète de la qualité. En achetant une lessiveuse Maytag, Pierre sait qu'il n'aura pas à la faire réparer avant plusieurs années. Les marques de commerce sont autant de sceaux de qualité. Et ces sceaux ne se sont pas construits du jour au lendemain. Ils se sont développés sur des périodes de plusieurs années pendant lesquelles les compagnies ont fait la preuve qu'elles offraient vraiment des produits de qualité. Ils ont évidemment un prix.

Le logo, ou la marque de commerce, n'est donc pas une simple tactique imaginée par le marketer manipulateur pour vendre plus de chandails « de prestige » ou pour faire grimper le prix de ses espadrilles. Il aide le consommateur à placer un produit X sur une échelle 1/10 de qualité. Le ketchup Heinz, pour reprendre l'exemple de M. Cossette, n'est pas au haut de l'échelle parce qu'il est offert dans une belle bouteille ou qu'il fait l'objet d'une plus grosse (ou meilleure) campagne publicitaire que ses compétiteurs. Il est en haut parce que c'est un produit de qualité et que cette qualité est constante.

Le logo sert en fait de raccourci au consommateur. Lorsque par exemple vous arrivez devant un restaurant McDonald's et que vous décidez d'y entrer, vous savez exactement à quoi vous attendre. Vous savez que si vous commandez un Trio Big Mac avec Coke, vous aurez le même trio avec Coke que vous soyez à Montréal, à New York ou à Pékin – ou, peut-être déciderez-vous de ne pas entrer dans le resto parce que vous détestez « le fast food infect qu'on y sert »... D'une façon comme de l'autre, les grandes arches jaunes, en un clin d'oeil, vous transmettent tout un lot d'informations. Et c'est à ça que servent les marques.

Antidote à la pub

Images de marque, logos, trademarks, Cossette n'en démord pas: il va falloir que les publicitaires reculent ou que nos gouvernements avancent. « Tant qu'il n'y aura pas vraiment des lois pour restreindre la quantité de publicités ou la sorte d'argumentation ou de persuasion que les publicitaires utilisent, ceux-ci auront tendance à exagérer un peu. » (Indicatif présent, Radio-Canada, 20 septembre 2001). En attendant, une « meilleure » éducation serait la solution.

Pour mettre un frein à ce gaspillage, pour augmenter la résistance aux charmes de la publicité, il ne nous reste qu'un seul espoir: investir toujours davantage dans un système d'éducation universel et gratuit. Cette idée n'est plus tellement à la mode comme le rabâche le slogan de la droite « Le citoyen utilisateur doit être le citoyen payeur! » Mais seule l'éducation permet à chacun d'assembler petit à petit des points de comparaison, de développer un esprit critique, bref, l'éducation apprend à penser par soi-même plutôt que de succomber naïvement aux sirènes publicitaires des marchands.

Si la rédemption passe par l'éducation, il y a de l'espoir! En effet, nous n'avons jamais été aussi éduqués qu'aujourd'hui. Nous n'avons jamais eu accès à autant d'informations gratuites qu'aujourd'hui. Si les gens éduqués sont mieux outillés pour penser par eux-mêmes – par opposition aux non-éduqués qui ne font que « dé-penser », comme le dit Cossette –, comment expliquer qu'il n'y ait pas un plus grand engouement pour un mouvement comme celui des antipub? Si les gens éduqués ont un rapport plus « éclairé » avec la pub, comment expliquer que celle-ci ait toujours une telle « emprise »?

La meilleure façon de contrer l'« emprise » de la publicité sur nos vies, c'est d'avoir une vie. C'est d'avoir autre chose à faire que de constamment regarder la télévision, lire les magazines populaires, fréquenter les centres d'achats... En fait, la meilleure façon de contourner la pub, c'est de l'ignorer. Elle ne peut pas prendre d'espace dans la vie de quelqu'un, si ce quelqu'un a une vie. Elle ne peut pas « contrôler » l'esprit de quelqu'un – quel drôle de concept – si celui-ci exerce un contrôle sur sa vie.

Bien sûr, de prétendre que la publicité n'a aucun pouvoir serait de jouer à l'autruche – les ventes de yogourts légers Silhouette ont bel et bien grimpé de 45% depuis que la comédienne Sophie Lorain en fait la promotion! Mais de prétendre que les publicitaires sont plus intelligents que la moyenne et qu'ils se servent de cette « supériorité » pour mieux contrôler le subconscient des gens est aussi ridicule. Ils ne contrôlent rien. Si c'était le cas, il n'y aurait jamais de flops publicitaires. Tous les produits seraient également populaires. Toutes les campagnes connaîtraient le succès. Toutes les compagnies ne feraient que des profits et vous et moi ne serions pas là à discuter de tout ça (trop occupés que nous serions à peaufiner notre dernière campagne de publicité).

Si, au lieu d'enseigner ses niaiseries anticapitalistes, Cossette expliquait à ses étudiants comment fonctionne une économie de marché et comment celle-ci est le meilleur système élaboré jusqu'ici par l'humanité pour être libre, penser par soi-même et faire ses propres choix, peut-être aurait-il ironiquement plus de succès dans sa croisade antipub...